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Théâtre de l’absurde et de la cruauté, le monde de Roger Ballen hante la Halle Saint-Pierre

A l’étage, son travail photographique qui est la base de sa création. Au rez-de-chaussée, ses dessins et installations dont certaines conçues expressément pour cette exposition. L’univers sombre et pénétrant de Roger Ballen s’expose en cette rentrée à la Halle Saint-Pierre et c’est un sacré choc de s’y confronter pour la première fois.
Des poupées sans tête, des visages sans corps, des chaises éventrées, des animaux empaillés, des poupées crucifiées, des trophés de chasse, des mannequins déglingués, des ours en peluche en état de décomposition, un mur de photos fantomatiques, des oiseaux en cages, des créatures grotesques… Enumérés comme ça, les objets qui composent, dans la salle du bas, l’univers de Roger Ballen suscitent au premier abord l’effroi, réveillant des visions cauchemardesques, des scènes hallucinées où l’évocation de l’enfance rencontre la misère, la mort à l’œuvre en toute chose et la cruauté du monde. Mais l’humour n’est pas absent de ce théâtre âpre et saisissant qui charrie expressivité outrancière et mélancolie crasse. Dans cet espace d’exposition en vase clos que constitue l’écrin du rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre, imperméable à la lumière extérieure, comme un monde à part, on croirait pénétrer dans le grenier du cerveau de cet artiste fascinant dont le double en silicone trône au centre, appareil photo autour du cou, assis au beau milieu de ses créations. L’ultra-réalisme de la sculpture vient alors contraster avec l’étrangeté inquiétante des installations alentours, avec ces êtres tout à la fois horrifiques et comiques, poussés dans leur extrémité expressive. Et la surprise de se mêler à la visite quand s'animent certaines scènes. 

A l’étage, on aborde les photographies de l’artiste né à New-York en 1950 mais vivant depuis plus de 30 ans en Afrique du Sud. Le terreau de sa démarche artistique, le berceau de son œuvre. A l’instar de ses installations, ses clichés, essentiellement en noir et blanc (assortis d’une série récente inédite en couleur) usent de matériaux hybrides, mixant les supports. Ils fondent entre eux photographie et dessin, fiction et réalité, mise en scène millimétrée et interventions du hasard. Ses images sont peuplées d’animaux et d’anonymes. Elle flirtent avec le surréalisme tout en renvoyant un réel décharné où la souffrance des exclus de la société abonde. C’est une œuvre empathique qui s’offre à nous, sans aucun pathos, sans aucune complaisance. C’est un regard qui vient révéler le chaos à l’œuvre en ce monde, l’absence de sens par les entrechocs de références, connotations, associations d’objets et d’êtres vivants. Et si l’acte photographique de Roger Ballen s’enracine dans l’Afrique du Sud des déshérités, des oubliés, des invisibles, sa démarche n’a rien du reportage et ne relève pas d’une volonté militante. Car la mise en scène prime toujours et c’est elle qui fascine au premier abord avant même de plonger dans les histoires que nous racontent ces saynètes narratives bizarres voire déconcertantes. La composition d’ensemble, le goût du détail, l’absence de hiérarchisation entre le décor et les figures qui habitent ses cadres précis, voilà ce qui saute aux yeux. La réalisation est toujours somptueuse, les contrastes entre les noirs et blancs, les dégradés chromatiques de gris. Roger Ballen maîtrise à la perfection son outil, excroissance de sa personnalité, et celui-ci lui permet d’élaborer des tableaux argentiques tantôt complexes tantôt épurés, toujours soignés à la perfection. Une fascination.

Par Marie Plantin

Le Monde selon Roger Ballen
Du 7 septembre 2019 au 31 juillet 2020
A la Halle Saint Pierre
2 Rue Ronsard
75018 Paris
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