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Stéphane Schoukroun orchestre la convergence de foyers au Grand Parquet
C’est un travail fort, honnête et généreux, que réalise là le metteur en scène Stéphane Schoukroun, par ailleurs comédien solide, notamment chez Christian Benedetti dont il est récurrent dans les distributions. Un travail mené sur la durée avec les élèves comédiens de la promotion 2019 de l’ESAD (Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Paris) au contact des résidentes et du personnel encadrant du CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) Pauline Roland, dans le 19e arrondissement. Un travail de terrain, un travail de témoin.
Plusieurs mois durant, ponctuellement, les quatorze jeunes comédiens se sont rendu sur place au CHRS Pauline Roland, pour partager des moments de vie commune, participer à des ateliers cuisine, à des activités avec les enfants, et surtout, aller à la rencontre de ces femmes en difficulté qui peuplent le foyer, les inviter à se raconter et se mettre à leur écoute. L’expérience, telle qu’elle fut vécue individuellement et collectivement, est ainsi transmise sur scène, ce plateau convivial du Grand Parquet qui accentue de par sa configuration la proximité avec le public.
Stéphane Schoukroun prend le parti de recréer en direct les questionnements éthiques et esthétiques qu’un tel projet génère et pour le metteur en scène, et pour les comédiens impliqués. Encore en phase de formation, ceux-ci - une très belle équipe, se révèlent plein de foi, d’espoir mais aussi de doutes quant à leur métier, leur rôle à jouer, le sens de leur démarche et de leur implication. Tous, ils sont animés d’un élan propre à leur jeunesse et à l’émulation du groupe. Et cette effervescence, visible et communicative, est parfaitement à l’œuvre dans ce spectacle-laboratoire qui s’interroge sur lui-même et sur ce puissant choc des cultures, pour mieux nous impliquer dans le processus interne et externe, nous faire toucher du doigt, avec tact et pudeur, ce microcosme social qu’est le CHRS Pauline Roland.
On aurait pu entendre plus de ces témoignages de femmes et d’enfants en situation de grande précarité, les approcher d’un peu plus près. Mais le choix de Stéphane Schoukroun, au-delà d’un théâtre documentaire, est celui d’un méta-théâtre qui réfléchit en direct sur la place de l’acteur et la capacité du théâtre à faire entrer le réel dans son giron. Et c’est un choix qui se tient d’autant plus que les acteurs en scène sont à l’orée de leur vie professionnelle, dans cette zone instable mais galvanisante de transition.
L’entrée en matière, qui se développe sur une bonne partie de la représentation, place les comédiens dans une adresse directe au public s’appuyant sur franchise et spontanéité, et posant les bases de la démarche. La notion de foyer y est déclinée dans toutes les définitions du dictionnaire, allant de l’âtre au foyer du théâtre, en passant par la maison et le lieu d’accueil, de vie, de rencontres. Et l’on comprend que le spectacle s’inscrit dans la convergence de tous ces sens, au cœur de cette polysémie irradiante. C’est ensuite l’historique du Grand Parquet et la biographie de Pauline Roland qui sont partagés comme on partage le pain autour d’une table. Dans la simplicité d’une transmission de savoir, dans la volonté de partir sur des bases communes de connaissance et surtout d’ancrer le projet dans une histoire plus vaste.
Cette façon de poser les jalons des enjeux apparaît comme une excellente idée, d’autant plus qu’elle n’est pas réalisée d’une manière didactique. Stéphane Schoukroun a imaginé un dialogue dynamique où la parole rebondit sans cesse d’un interprète à un autre, où la passion s’insinue, celle de jouer, de défendre ses opinions, où l’émotion explose, celle véhiculée par ces rencontres marquantes, venant remuer de l’intérieur le confort de ces acteurs en herbe, encore protégés par le cadre de l’école. Tous ils sont magnifiques, vibrants, engagés, percutants.
Et lorsque débarquent sur scène les trois jeunes femmes appartenant au personnel du CHRS, venues du premier rang du public, comme une irruption flagrante du réel au milieu des débats épidermiques et des disputes à vif en jeu au plateau, on ne sait plus où est le vrai du faux. Sont-elles comédiennes ou réellement des professionnelles de l’aide sociale ? On s’y perdrait tant leur présence est juste, tant chaque parole émise sur ce plateau irradie de la vérité de celui qui la porte. La participation, en chair et en os, de ces femmes au spectacle apparaît comme une évidence, elle est la porte ouverte au monde extérieur, à une réalité sociale cruelle mais indéniable.
Ce théâtre-là invite à regarder les choses en face, à aller au-devant des autres, à franchir le miroir, à trouver la beauté dans la dure réalité plutôt que dans le doux bercement des illusions. Ce théâtre-là est plus militant qu’un bulletin dans une urne, il n’y va pas le petit doigt en l’air mais plonge à pleine main dans la réalité de ceux qui ne sont, après tout, que nos voisins. Il est parcouru de fulgurances dont on se souviendra longtemps.
Du 27 au 29 avril 2017
Au Grand Parquet
35 Rue d'Aubervilliers
75018 Paris