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Quand féminisme et éclats de rire font bon ménage...

Tellement drôles sans jamais oublier d’être (im)pertinentes, les Filles de Simone nous livrent un deuxième spectacle libérateur et réjouissant qui traite du corps féminin sans tabou et règle leurs comptes aux diktats et discours périmés sur le sujet.
Ne vous fiez pas à son titre, un brin trompeur. “Les Secrets d’un gainage efficace”, conçu collectivement par les Filles de Simone (compagnie composée de Claire Frétel, Tiphaine Gentilleau et Chloé Oliverès), leur deuxième création après “C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde”, n’est pas une énième comédie féminine, glamour et joviale, aguicheuse comme un décolleté bien rempli, légère comme une jupe d’été soumise aux caprices du vent coquin. Il s’agit bel et bien d’un spectacle féministe revendiqué, un spectacle militant pour sortir le corps féminin de son carcan d’idées reçues, de stéréotypes de magazines, une création collective nourrie de lectures, en long en large et en travers, issues d’un corpus d’ouvrages éclectique (historique, sociologique, psychanalytique, anatomique…), un coup de poing sur la table qui use de la musculature d’une alliance de neurones en pleine possession de leurs moyens, prêts à en découdre avec les idées toutes faites et rétrogrades qui nous contaminent encore aujourd’hui quoiqu’on en croit, quoiqu’on en pense. Ce spectacle est un pavé dans la mare qui a le mérite d’être drôlissime en plus d’être intelligent, qui ne se refuse rien, comme convoquer la figure de Mona Chollet en personne (à la côte de popularité flirtant avec le firmament actuellement), enfin, son double, entendez bien (la vraie était d’ailleurs dans la salle le soir où nous y étions), celle de notre bon vieux Freud ou de Saint-Augustin.

Le spectacle aborde au cas par cas et sous différents angles divers aspects du corps féminin dans sa globalité autant que dans ses spécificités (pilosité, appareil génital, cellulite, règles…),  et passe au crible des sentiments trop largement partagés par la gente féminine, les complexes, la honte et la culpabilité. Au plateau, elles sont cinq (et elles sont formidables, Tiphaine Gentilleau, Cécile Guérin, Claire Méchin, Chloé Olivères et Géraldine Roguez), toniques, en verve, pas la langue dans leur poche, très individualisées, très identifiables, et pourtant elles font corps, un grand corps théâtral bigarré, regroupé dans une mission d’écriture collective sur un sujet qui les concerne de près. Le spectacle avance donc de chapitre en chapitre au rythme de ces réunions régulières visant à mettre en place le contenu d’un livre à venir. On assiste, que dis-je on assiste, on est pris à parti, inclus dans le dispositif dramaturgique d’agora où chacune a son mot à dire, où les prises de parole se bousculent, ricochent les unes sur les autres, dans l’énergie brouillonne et utopiste d’une AG. Témoins des balbutiements et trébuchements du début, d’une méthode de travail qui s’élabore en direct, d’un groupe qui cherche son fonctionnement dans le même temps où il génère ses sujets (les complexes, la boulimie, le viol, le plaisir…), de la confiance qui gagne chacune et libère les confidences, les spectateurs se fondent dans ce dispositif vivant qui épaissit sa matière au fur et à mesure de la représentation. Car l’AG finit par se transformer en terrain exutoire où les langues se délient, où les récits de vie personnels et poignants se fraient un chemin parce que le microcosme de chaque vie a toujours à voir avec la société environnante, et l’intime est toujours impacté d’une manière ou d’une autre par le politique.

Mais là où les Filles de Simone réussissent véritablement leur coup, c’est qu’elles parviennent, au sein de la mécanique langagière du spectacle, à y déployer une théâtralité oxygénante, en des scènes le plus souvent comiques, voire cocasses, qui viennent rompre la possible monotonie du dispositif. La visite guidée d’un sexe féminin est un sommet, la danse de la cellulite vaut son pesant d’or aussi et le beatbox des serviettes hygiéniques vient couronner le tout et donner leur coup de grâce aux complexes adolescents. Dans ces moments-là, la jubilation voire même l’euphorie de la salle est palpable, on sent que ça fait du bien par où ça passe. Ici, dire les choses, à plusieurs et publiquement, n’est pas qu’un enjeu de théâtre, c’est un enjeu de société. Briser le silence, le meilleur remède pour se réapproprier nos corps, encore et encore, et joyeusement qui plus est. Merci les Filles de Simone !

Par Marie Plantin

Les Secrets d’un gainage efficace
Du 15 janvier au 3 février 2019
Au Théâtre du Rond-Point
2 Bis Avenue Franklin Roosevelt
75008 Paris
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