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Les Sorcières font leur coming out à l’Espace Léon Cœur Marais

Les artistes du Gang of Witches s’exposent et invitent des acolytes à partager les cimaises de l’Espace Léon Cœur Marais pour une expérience qui prend aux tripes.
Si vous en êtes encore à penser que les sorcières chevauchent des balais, la tête coiffée d’un chapeau pointu, une verrue big size sur le nez, vous vous fourrez le doigt dans l’œil, excusez l’expression. Longtemps chassée avec conviction pour être placée sur un bûcher en guise de contre-exemple à la bien-pensance, la bienséance, au droit chemin quoi, la sorcière a toujours été le bouc émissaire parfait d’une société lisse et polie, érigeant sa morale et sa religion en valeur suprême. Bien sûr, il est loin le temps de l’inquisition, de l’eau a coulé sous les ponts depuis le Moyen-Age et la sorcière s’est déparée de son odeur de souffre pour n’être plus qu’une figure indispensable de la littérature enfantine, une créature de conte façonnée pour cristalliser les peurs primaires avant le bisou du soir, celle qui jette des mauvais sorts, le pendant féminin du loup qui dévore. Et pourtant. Les sorcières n’ont pas dit leur dernier mot, elles ont muté depuis, ce sont des femmes d’aujourd’hui, des vraies, qui encore et toujours sortent du moule, échappent aux diktats, sèment le trouble. Les sorcières sont les affranchies des temps modernes et les quatre femmes qui constituent le collectif artistique de Gang of Witches ont eu du flair en se plaçant sous leur bannière un soir de pleine lune, concrétisant une envie commune d’aborder la création autrement, en s’associant pour pouvoir rester libre justement. L’union a toujours fait la force et la liberté se mérite car rien ne tombe du ciel malheureusement, surtout pas l’essentiel. Ces femmes-là sont fortes et méritantes, c’est évident.

Issues de domaines artistiques différents, mues par des convictions éthiques, écologiques et politiques allant dans le même sens, se méfiant des idées reçues et des carcans faciles, le caractère bien trempé dans l’encre noire de la nuit, elles ont d’une voix commune choisis de placer leur militantisme sous le signe de l’art et du partage. Et leur expression artistique, elles ont choisis de l’ancrer dans l’aura des étoiles et des mythologies ancestrales, de la nature et des liens invisibles qui nous enlacent, du sacré et du profane, du mystère et de la matière, de la magie du geste qui invente et crée sans cesse. Pour qu’il y ait quelque chose plutôt que rien. Quelque chose de grand, beau et fort pour donner tort à tous ceux qui restent dans leur coin à ronger leur frein. Et que la lumière naisse de la nuit, encore.

Voici donc la deuxième édition de l’événement annuel que concocte ce quatuor de filles qui n’a pas froid aux yeux. Une exposition collective intitulée “Venus’Revolution”, préfigurant d’autres manifestations à venir qui se dérouleront, à chaque fois, en écho avec une planète du système solaire, source d’inspiration et “tuteur métaphorique” de chaque projet engagé. Cette année, le gang ouvre ses portes à d’autres artistes, hommes et femmes confondus, qu’il invite dans son antre éphémère, l’Espace Léon au cœur du Marais, afin d’élargir les propositions, les points de vue, d’offrir aux visiteurs-spectateurs de nouveaux univers à arpenter. Une véritable expérience qui mixe les esthétiques et converge dans une même direction, celle du respect de soi et de l’autre, les deux allant de pair, celle d’une empathie bienveillante pour le monde, humain, animal et végétal.

Mais passons aux présentations. Qui sont-elles, ces sorcières inspirées et inspirantes ? Il y a Sophie Noël, musicienne, chanteuse, qui assure la direction musicale du collectif et en a signé le manifeste en une chanson lyrique et pop entêtante mais arbore également une deuxième casquette et pas des moindres puisqu’elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, des essais en lien avec la musique d’une part, des romans d’autres part. “Plaintes contre X”, sorti en 2009, préfigurait déjà le goût de cette intrépide pour la transdisciplinarité, le livre imposant son esthétique dans le verbe autant que dans son identité visuelle, graphique, photographique et sonore, l’ouvrage étant étayé d’images fortes signées Lu.Bo., Sick Lust et Syl et accompagné d’une bande originale de 11 titres composée par des artistes de la scène rock et électro française (Lust Control, No Rest 4 the Brave, Laamdadün, d.e.v.i.a.n.c.e., Anadyomène, Kinesin, LeCollector, IKU). Sophie travaille actuellement sur un récit au long cours, un roman-feuilleton d’anticipation intitulé “Ad vitam aeternam” (à découvrir en édition limitée dans les deux publications du gang ainsi que sur le site du collectif à partir de juillet 2018).

Paola Hivelin, plasticienne, est l’étoile du gang puisqu’elle en est l’initiatrice et la directrice artistique. A l’occasion de cette deuxième exposition, elle présente deux séries, mystérieuses et pénétrantes, trois tableaux puissants, scintillants et ombragés, et un lot d’ex-votos en petits formats, dans des caissons de bois, représentant chacun un organe ou partie du corps humain et dont le profit de la vente est destiné à une association philanthropique en lien avec la recherche médicale, la cause animale et le soutien aux malades. Son œuvre irradie sa matière opaque et lumineuse, granuleuse et filandreuse. Des cascades d’épingles déferlent sur les toiles, les paillettes miroitent, les effets de contrastes sont saisissants. La forme sombre et abstraite qui vient s’interposer entre nous et le fond éblouissant a des airs d’éclipse en plein jour.

Les deux autres membres du gang, Mélanie Török et Sunny Buick complètent le paysage de ce collectif par l’apport de la photographie d’une part, de la peinture et du tatouage d’autre part. La série d’images proposée par Mélanie Török, où des mises en scène énigmatiques et troublantes s’inscrivent dans des espaces abandonnés, friches ou ruines, interroge notre rapport à l’animal ainsi qu’à notre propre animalité. Sunny Buick quant à elle imagine une toile luxuriante où domine la nature, où des mythes de tout poil se télescopent pour venir prendre le contrepied du fantasme colonialiste lié aux îles et à l’exotisme, où les femmes reprennent le pouvoir sur leur corps et sur leur vie. Car ce qui domine dans cette exposition collective éphémère, c’est la présence massive d’artistes femmes, la singularité de chaque geste artistique, l’identité forte de chaque série. La nature y a une place prépondérante et revient comme un mantra. On est happé par la pluralité des univers qui entrent en résonance les uns avec les autres et avec nous-mêmes. Certaines œuvres viennent nous percuter en plein cœur, comme cette installation photographique de Lorenzö qui nous hante encore.

On salue l’initiative de ces femmes et plus encore la mise en oeuvre de ce projet formidable auquel on souhaite longue vie. Vive les sorcières ! Vive le Gang of Witches !

Entrée libre !

Par (la sorcière) Marie Plantin

Venus’Revolution
Gang of Witches
Du 25 mai au 2 juin 2018
Espace Léon Coeur Marais
3 Rue Portefoin
75003 Paris
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