Le Théâtre et ses « genres »

Comédies versus Tragédies

Depuis l’antiquité, le théâtre se divise en deux genres opposés ayant chacun son lot de lois internes, la tragédie d’une part, la comédie d’autre part. Contrairement à la comédie, la tragédie met en scène des personnages nobles ou de rang élevé dans une histoire qui se termine mal, généralement par la mort d’un ou de plusieurs personnages. La tragédie classique comporte cinq actes et traite de sujets « dignes » et puissants comme l’amour, l’honneur, la vengeance, la fatalité de l’homme seul et démuni face à son destin. Ses personnages, issus de l’Histoire ou de la mythologie, sont souvent tourmentés par des passions destructrices. L’une des fonctions de la tragédie est la « catharsis », à savoir purger les passions négatives des spectateurs par le biais de la représentation, sorte d’exorcisme qui passe par le fait de vivre virtuellement ses pulsions, ses angoisses ou ses fantasmes les plus obscurs à travers les personnages dramatiques pour s’en libérer.

L’un des plus grands représentants de la tragédie classique est Racine, auteur dramatique prolifique qui a donné au XVIIème siècle ses plus belles pièces de théâtre en alexandrins. Citons quelques-unes de ses œuvres les plus célèbres, inspirées de sujets grecs : Phèdre, Bérénice, Britannicus, Andromaque, Iphigénie…

En opposition à la tragédie, la comédie cherche à divertir et à faire rire avant tout mais également à dénoncer certains travers de la société. Son dénouement est heureux (mariage, retrouvailles, réconciliation, intrigue résolue). Les personnages y sont de condition moyenne ou modeste. La comédie classique a pour fonction de « corriger les mœurs par le rire ». On distingue différents types de comédie : la comédie de caractère, d’intrigue, de mœurs, la farce aussi, puis au XIXème siècle on voit l’apparition d’un genre nouveau avec le vaudeville (ou théâtre de boulevard) qui repose sur un comique de situation lié à une intrigue amoureuse. C’est également la période où naît un certain type de comédie sentimentale véhiculé par Marivaux.

L’un des plus grands représentants de la comédie classique est Molière avec des pièces comme Tartuffe, Le Misanthrope, Le Bourgeois Gentilhomme, L’Avare, Le Médecin malgré lui, Les Femmes savantes, Le Malade Imaginaire, L’Ecole des femmes…
Pour le vaudeville, Feydeau reste la référence historique avec des pièces comme Un Fil à la patte, Le Dindon, La Puce à l’oreille, La Dame de chez Maxim, Mais n’te promènes donc pas toute nue, Feu la mère de madame…
Quant à la notion de « marivaudage », elle vient directement du nom de l’auteur qui l’a développée à travers ses pièces, Marivaux : Le Jeu de l’amour et du hasard, La Dispute, La Double Inconstance, La Surprise de l’amour, La Fausse Suivante…

De nos jours, si la tragédie n’existe plus en tant que telle, comme genre codifié hérité du passé, la comédie reste une catégorie identifiable par son souci premier de déclencher le rire de l’auditoire. Elle répond à des critères qui ont finalement peu changés au fil des siècles, reposant essentiellement sur le comique de situation ou de caractères comme par exemple dans des pièces devenus cultes comme Le Dîner de Cons de Francis Veber ou Le Père Noël est une ordure de la troupe du Splendid. En revanche, le registre de la satire sociale reste moins développé qu’à son apogée classique au XVIIème, et se manifeste plutôt dans ce qu’on nomme actuellement le one man show, une branche dérivée de la comédie où un acteur seul en scène égraine sketches et jeux de mots en s’adressant directement au public, voire même en le prenant à parti et en interagissant, comme dans le stand up, en vogue ces dernière années. Les plus célèbres représentants du genre, Florence Foresti et Gad Elmaleh, ont désormais l’aura des rock stars. Seuls en scène, ils déplacent les foules. Mais ils sont loin de manquer de concurrence, les one man show proliférant dans la capitale comme trainée de poudre. Avant cantonnés à des lieux spécialisés (notamment le célèbre Comedy Club fondé par Jamel Debbouze sur les Grands Boulevards), le one man show conquiert depuis peu les lieux même de théâtre, que ce soit le Rond-Point ou le Théâtre du Châtelet.

Il est pourtant important de noter que l’on assiste depuis une dizaine d’années, à une mutation de la comédie qui sort de son carcan classique, de ses situations et de ses caractères types pour aller défricher d’autres territoires, explorer des champs de théâtralité plus contemporains. Une troupe subversive et décapante comme Les Chiens de Navarre prouve aujourd’hui que l’on peut pratiquer une forme de « comédie contemporaine » en véhiculant émotions contradictoires, humour rentre-dedans, le tout assorti d’une véritable remise en cause des conventions sociales et d’une critique caustique de la société actuelle. La compagnie du Zerep, dirigée par Sophie Perez et Xavier Boussiron s’attaque quant à elle, à coup de rire gras et de références savantes, au milieu du théâtre lui-même, de la danse aussi, de l’art contemporain surtout. Portés par des comédiens devenus cultes d’une certaine façon, Sophie Lenoir, Stéphane Roger et Marlène Saldana, leurs spectacles n’ont pas peur des décors rocambolesques et charrient leur lot d’accessoires indispensables aux travestissements qu’ils affectionnent (perruques, fripes, costumes en tout genre). Un joyeux chaos règne sur le plateau, l’impression que tout peut basculer à tout moment, et le plaisir de jouer des comédiens est extrêmement visible et communicatif. Citons également une compagnie toute fraîche, The UPSBD (the United Patriotic Squadrons of Blessed Diana) emmenée par Marlène Saldana et Jonathan Drillet, qui pratique également un humour bien trempé, un goût marqué pour la transformation physique et le déguisement. Ces compagnies revendiquent chacune à leur manière un retour au jeu, dans sa forme première, basique : ils prônent un théâtre ludique qui feint parfois la bêtise pour mieux tromper son monde. Car sous couvert de blagues potaches et de délires déjantés, ces compagnies n’hésitent pas à harponner les travers de nos petits milieux, à dézinguer nos institutions et systèmes, à pointer du doigt nos hypocrisies et masques sociaux, à tourner en ridicule des figures patrimoniales avec une verve impitoyable… En bref, ils jettent un pavé dans la mare et provoquent en même temps l’hilarité du public. Une vraie cure d’oxygène.