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Le Théâtre Déplié fait sa Féria de l’été à l’Atelier du Plateau
Jusqu’au 6 juillet, la compagnie Théâtre Déplié investit l’Atelier du Plateau et ses alentours, assorti d’une fanfare, à raison de quatre soirs par semaine (du mercredi au samedi) avec un puzzle théâtral réjouissant qui remet ses cartes en jeu à chaque fois et révèle des comédiens de haute volée.
Décidément, comme il fait bon passer la soirée à l’Atelier du Plateau, havre de convivialité niché dans les hauteurs du XIXème arrondissement, à deux pas des Buttes Chaumont, proposant une programmation bien sentie à mi-chemin entre théâtre, musique et cirque. Le lieu ne ressemble qu’à lui-même, il n’est pas configuré comme une salle de théâtre en bonne et due forme. Très haut de plafond, doté d’un bar, d’un escalier et d’une échelle à vue (menant aux coulisses en mezzanine), il invite les compagnies à s’emparer de l’espace autrement, à choisir le dispositif scénique et le rapport au public en fonction de la nature de leur proposition artistique. Frontal, bi-frontal, tri ou quadri-frontal, on bouge les chaises et tout est possible moyennant quelques bras. Pas de scène à proprement parler, pas de cintres ni de machinerie complexe, ici la légèreté prime, l’artisanat des formes et l’ingéniosité créative. Caché au bout d’une petite allée pavée, l’Atelier du Plateau mène depuis trois ans maintenant une Féria de fin de saison sous-titrée Festival à débordement qui porte bien son nom. L’idée est de proposer à une compagnie de s’emparer des lieux, de créer in situ mais aussi de sortir des murs du théâtre, d’investir le quartier avec des formes théâtrales en recherche, des expérimentations à ciel ouvert, impliquant le spectateur venu en connaissance de cause autant que le badaud lambda passant par là. Pour forer la création à même la ville, aller à la rencontre du public, décentrer le théâtre de son plateau habituel et le frictionner à la vie la vraie, décloisonner les publics en somme.
C’est ainsi que pour sa troisième édition, Féria invite le Théâtre Déplié, compagnie menée tambour battant par Adrien Béal et Fanny Descazeaux et dont les dernières créations (“Le Pas de Bême”, “Les Batteurs” et “Perdu Connaissance”) ont affirmé une démarche singulière absolument passionnante dans le paysage actuel du spectacle vivant. Un théâtre de pensée non élitiste car au plus près de nos préoccupations partagées, qui part de situations extrêmement concrètes pour déployer sa force de réflexion collective, qui part du plateau pour s’écrire et inclut les comédiens dans le processus de fabrication, qui s’ancre dans le réel avec la conviction absolue qu’il est le terreau le plus fertile à la mise en jeu de problématiques de société mais n’hésite pas à le tordre légèrement pour lui donner une coloration étrange et déroutante parfois. Jamais on n’aura autant eu l’impression de voir se déployer sous nos yeux et nos oreilles la pensée à l’œuvre, dans ses dynamiques contradictoires, ses argumentaires, ses interrogations et hypothèses, dans tout ce qu’elle a d’humain finalement. Ce n’est pas de la philosophie de bas étage qui s’exprime dans les représentations du Théâtre Déplié mais bien de la philosophie de terrain, à portée de main et de tous. Accessibles et humbles, non dépourvus d’un humour revigorant qui trouve toujours à se frayer un chemin dans les discussions à bâtons rompus qui s’engagent au plateau, les spectacles mis en scène par Adrien Béal, intelligence lumineuse et sensibilité aiguisée, remettent le droit de penser au goût du jour, font du débat une forme théâtrale en tant que telle sans jamais tomber dans le théâtre à thèse, s’emparent d’une problématique pour la réfléchir à vue avec, toujours en ligne de mire, un sens affiné de la théâtralité (jeu, rapport à l’espace et rythme y fonctionnent en une trinité-pilier confinant à l’harmonie d’ensemble). C’est un théâtre de mise en partage qui place les interprètes au cœur du processus et tire son utopie d’une démarche collective, matrice de sa raison d’être.
A l’image de ses précédentes créations, ce que propose le Théâtre Déplié dans le cadre de cette Féria joyeuse et conviviale s’inscrit dans l’exacte continuité du cheminement de la compagnie. La carte blanche offerte par l’Atelier du Plateau se transforme alors en un feuilleton théâtral au long cours, chaque épisode fonctionnant à la fois individuellement et en rapport avec le tout. Chaque soirée est donc différente et remet les cartes en jeu quand bien même le déroulé global reste identique : une première partie ouvre le bal en extérieur, avec un rendez-vous à 18h30 au 34 rue des Alouettes pour une déambulation rondement menée dans les parages qui lance la thématique, s’imprègne du contexte urbain en général et du cadre du quartier en particulier, inscrit le théâtre dans la cité, met à terre tous ses murs pour lui donner l’horizon et les possibles du cinéma, tandis qu’à 20h la suite se joue à l’Atelier du Plateau dans le huis clos plus ramassé d’un espace fermé et développe l’intrigue amorcée dans le prélude. S’ajoute aux six comédiens solides et flexibles, en un mot formidables, qui méritent d’être tous cités dont acte, Pierre Devérines, Boutaïna El Fekkak, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Etienne Parc et Cyril Texier, un groupe de musiciens amateurs issu du Conservatoire du XIXème arrondissement merveilleusement mis en musique (passez moi l’expression) par François Merville. Les musiciens sont réellement intégrés au récit et y prennent part à leur façon dans une cohérence qui fonctionnait parfaitement le premier soir, réussite maximale égard à l’ambition du dispositif, risqué par nature car fondé sur l’improvisation des comédiens. Mention spéciale à Julie Lesgages ce 26 juin dont la performance restera gravée dans nos mémoires. La comédienne nous aura livré des scènes d’anthologie, d’autant plus délectables qu’on les sait uniques car non reproductibles, chaque soir correspondant à un spectacle différent.
Par Marie Plantin
Féria
Du 26 juin au 6 juillet 2019
A l’Atelier du Plateau
5 Rue du Plateau
75019 Paris