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La Compagnie Troisième Génération frictionne mime et théâtre pour le meilleur

Spécialisée dans la pratique du mime, la Compagnie Troisième Génération n’aime rien tant que créer des passerelles avec le théâtre et lier le geste à la parole. C’est ce qu’elle fait ici, avec finesse et ingéniosité, en adaptant à la scène “La Vie automatique” de Christian Oster, un roman pétri de cinéma, entre humour et mélancolie.
Tout, dans ce spectacle, est d’une délicatesse et d’une subtilité exquise. La compagnie Troisième Génération, qui place le mime au coeur de sa pratique scénique, livre ici une adaptation théâtrale chorale du roman de Christian Oster, “La Vie automatique”, en imbriquant judicieusement partition gestuelle et partition verbale. L’écriture sans gras et sans détour de l’auteur contemporain se déploie et se déplace au plateau dans un double registre, une alternance de récit et de dialogues qui entrainent le spectateur sur les pas de Jean, personnage insaisissable aux motivations énigmatiques, être flottant, ballotté au gré des rencontres. Jean est bel et bien le personnage principal de cette histoire mais il échappe sans cesse. A toute analyse, à tout jugement. Au réel même. Comme si son identité, sa matérialité humaine, ses contours, étaient parti en fumée dans l’incendie de sa maison qui survient au début du roman et ouvre le spectacle. Jean voit le feu se propager mais il ne fait rien, il laisse faire, prend sa valise et part. Quelle dépouille de lui-même a t-il laissé derrière lui ? Quelle part de lui ?

Jean est acteur et part alors à Paris où un tournage l’attend quelques jours plus tard. Jean vient se fondre dans la capitale, se diluer dans ses rôles, ses rencontres, disparaître dans le sillage des autres. Encore une fois, il laisse faire. Il se laisse faire. Comme si lui-même n’avait pas de prise sur sa propre vie. Ce n’est pas un renoncement. Cela ressemble à une perte de soi en filigrane. Et pourtant. Si Jean semble ne pas avoir d’existence propre comme si le principe même de fiction envahissait sa propre vie, il n’en est pas moins magnétique car mystérieux. Il fallait donc un comédien capable d’autant de présence que d’absence pour l’incarner et à ce titre Guillaume Le Pape est idéal. Il porte en lui autant de repli que d’ouverture, d’ombre que de lumière, et son jeu délicat irradie le spectacle. Visage lunaire, corps funambule, il se glisse de scène en scène avec la souplesse d’un chat, accompagné dans son vertige existentiel par trois autres comédiens (Jules-Angelo Bigarnet, Charles Poitevin et Agnès Delachair) qui ne sont pas en reste et font preuve d’une intelligence de jeu, d’une maîtrise et d’une personnalité scénique puissantes. Chacun interprète plusieurs rôles et tous forment le ballet de personnages croisant la route de Jean, un maillon du rouage de cette vie en mode automatique.

A la mise en scène, Sergi Emiliano i Griell orchestre l’ensemble avec tact et fluidité, un sens de l’espace évident et une façon peu commune d’intégrer le mime dans le jeu. Rien n’est appuyé, aucune lourdeur ni redondance dans la cohabitation du corps “chorégraphique” et du texte. Le corps circule avec la même aisance que la parole. La gestuelle, qui emprunte à différentes techniques issues du mime moderne, crée un décalage subtile qui sied à merveille à la tonalité du livre, sur le fil entre humour et douce mélancolie, distille une certaine dose d’absurdité et de poésie tout à la fois. L’évitement du naturalisme est une lumineuse idée et le mime ici sert le propos en toute évidence, renouvelant par la même occasion notre regard sur cette discipline, trop souvent jugée hâtivement désuète. D’autant plus que la présence en toile de fond du cinéma vient sans arrêt doubler le réel, le bousculer, le troubler, propager la mise en abyme fictionnelle. Le spectacle use de peu de décors mais les choix sont ingénieux (notamment l’écran mobile manipulé à vue par les comédiens eux-mêmes), les accessoires sont réduits au strict nécessaire mais la bande son, expressive et modulée, vient habiller chaque scène, lui conférer son identité contextuelle (via bruitages, ambiance sonore, musique). Un montage sonore qui prend le relais du très bel accompagnement live de Pierre Charles. Le musicien, présent sur le plateau, violoncelle en main, dessine les ambiances du récit et intègre même le jeu en pointillés, l’air de rien, comme une évidence. A l’image de ce spectacle sensible, reflet de la justesse de la démarche qui l’inerve autant que du talent des forces vives qui le portent.

Avec la Compagnie Troisième Génération, le mime n’a pas dit son dernier mot et prouve que la discipline a de beaux jours devant elle et beaucoup de champs à explorer encore.

Par Marie Plantin

La Vie automatique
Du 21 au 31 mars 2019
Au Théâtre 13 / Jardin
103 A Boulevard Auguste Blanqui
75013 Paris
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