Rien de moins que cinq pièces à l’affiche en cette rentrée 2020 (dont une nouvelle création, "Une Histoire d'amour", à la Scala à partir du 9 janvier) et un premier roman publié chez Albin Michel, “Loin”, Alexis Michalik est épatant de par son incroyable productivité suivie de l’exceptionnelle longévité de ses spectacles qui s’inscrivent durablement au fil des saisons dans la vie théâtrale parisienne. Actuellement à l’affiche de la Pépinière depuis le 20 septembre, “Intra Muros” continue de bouleverser les spectateurs venus découvrir cette histoire carcérale qui ne sent pas le renfermé. Car avec ce metteur en scène virtuose, expert en récits qui vous tiennent en haleine et vous étreignent les tripes et le cœur, maître de l’illusion théâtrale et de tous les possibles qu’elle recèle, pointilleux directeur d’acteurs et capitaine de troupe généreux, nul besoin de décors coûteux et volumineux pour nous entraîner au-delà des murs, dans les multiples strates du passé qui permettent de tisser les fils de ses histoires jamais lisses, toujours trouées de mystères et de secrets. La scène est un ici et maintenant autant qu’un ailleurs qui vient nous dévoiler l’envers des vies de personnages attachants parce que terriblement humains, pétris de failles autant que d’ardeur à vivre. C’est un théâtre de simplicité, un théâtre d’acteurs tout terrain capables de changer de rôles comme de chemise d’une scène à l’autre sans que jamais le spectateur ne soit perdu. Et ce souci du détail qui fait la qualité de jeu des comédiens sélectionnés par le metteur en scène se retrouve dans le documentaire de Lucie Créchet qui suit, semaine après semaine, presque au jour le jour, le déroulé des répétitions du spectacle. L’occasion de découvrir Alexis Michalik à l’œuvre, aux prises avec la création de sa pièce, dans la continuité du travail. Et petit à petit, au fil des improvisations qui s’affinent, des monologues ressassés jusqu’à trouver la justesse adéquate, de la répétition  de la même scène chorale pour atteindre son rythme idéal, le spectacle prend forme sous nos yeux, s’assemble jusqu’à la première en public et la montée en puissance de la fameuse adrénaline.

Le documentaire de Lucie Créchet s’infiltre et nous avec dans ce temps particulier des répétitions qui n’est pas celui des sunlights mais du labeur quotidien. Il désacralise l’objet théâtral et nous rappelle à quel point construire un spectacle est un travail de fourmis obstinées portées par cet amour du théâtre qui est leur point commun à tous. La réalisatrice se fond dans l’environnement, se fait oublier, porte autant d’attention aux acteurs au plateau qu’au metteur en scène aux aguets, oreille aiguisée et œil vif, délivrant ses indications, ses retours, avec bienveillance. Jamais dans le jugement, il accompagne chaque comédien vers la maîtrise de son rôle. C’est dans la fabrique du spectacle qu’il nous est donné d’entrer, dans ses moments d’intense concentration mais aussi dans ses temps morts et ses angles morts, ses à côtés. Lucie Créchet varie les points de vue, déplace sa caméra pour changer d’axe et nous offre tout ce qu’une création recèle d’émulation collective autant que de parenthèses de solitude. Non seulement c’est très beau mais aussi extrêmement instructif pour tous ceux qui voudraient comprendre l’envers du décor.