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Conférence de choses et d’autres ou l’art et la manière de deviser sur le monde
Encyclopédie vivante, ode à l’oralité et à la transmission, au tout petit et à l’infiniment grand, avec Pierre Misfud, tous les savoirs sont à même enseigne et à même échelle dans un grand melting pot qui s’écoute et se savoure comme une confiserie. Sur une idée originale de François Gremaud.
C'est un conférencier pas comme les autres. Un phénomène, comme on dirait un phénomène de foire, un homme tout ce qu’il y a de plus normal, en jean-basket passe-partout, sac au dos, dégaine d’étudiant débonnaire plus que de professeur émérite, se plante face à nous et se lance dans une conférence minutée, 53 min et 33 secondes, comme sur les starting-blocks d’une course contre la montre aux règles absurdes. Car de quoi s’agit-il au fond ? Quel est le thème de cette conférence en l’occurrence ? Et bien il n’y en a pas. C’est une conférence sur rien autant qu’une conférence sur tout, et n’importe quoi aussi, qui brasse des connaissances en veux-tu en voilà en jouant à saute-mouton d’un sujet à un autre, au grès d’une date qui le fait inopinément bifurquer, d’un mot ou d’un nom, d’une association d’idée ou de connaissance et voilà notre orateur qui s’engouffre dans sa nouvelle voie, laissant de côté l’histoire qu’il était en train de nous raconter pour littéralement passer à autre chose.
Et c’est passionnant tout autant que réjouissant. Non seulement du fait de la personnalité joviale du comédien, sourire aux lèvres qui ne décroche jamais. Enthousiaste et enthousiasmant, Pierre Misfud possède un capital sympathie qui dériderait le plus morose et desséché misanthrope de tous les misanthropes. Il nous cueille à la seconde où il ouvre la bouche et nous balade allègrement dans sa cosmogonie de connaissances qu’il déplie sous nos oreilles en une multitude de chemins de traverses, une errance bonhomme où tous les savoirs se valent au bout du compte. En effet, aucun traitement hiérarchique ne vient ordonner ou classifier le contenu du propos. C’est bien la dérive qui est le principe même de la performance. Car, oui, nous sommes en territoire de performance, tout se joue dans l’ici et maintenant, dans l’adresse au public, et l’instant de la représentation, comme si l’acteur surfait sur l’improvisation mais bien sûr il n’en est rien. Le canevas est archi précis, les références détaillées, les anecdotes sues sur le bout des doigts. Tout est digéré et partagé en direct, ce qui rend l’acte à sa générosité première, transmission et amusement.
Ce qui est véritablement bluffant c’est que Pierre Misfud a dans sa besace sept conférences que le public peut voir séparément ou en intégralité. On retient son souffle et on salue d’avance le marathon, l’exercice relevant d’une gymnastique du cerveau et de la mémoire sacrément périlleuse. Si Pierre Misfud est sur le devant de la scène, interprète unique de ce cycle atypique, le metteur en scène François Gremaud est à l’origine de ce projet un peu fou, hors-norme, terriblement ludique et divertissant. On y apprend plein de choses, et surtout plein de choses inutiles d’une certaine manière et c’est très bien, car la futilité n’est pas à prendre à la légère. On s’éprend de ce comédien béat de bonhommie, maître de conférence improvisé qui en maîtrise à merveille les codes (comportement gestuel et tics de langage) pour mieux nous emmener sur des chemins non balisés traversant les siècles et les continents et nous servir sur un plateau le monde et son abîme de récits par milliers. Car qu’est-ce d’autre au bout du compte qu’une succession de micro-histoires glanées ça et là au grès de la pensée qui saute, rebondit, s’égare, s’émerveille sans cesse ? Ou comment faire du coq à l’âne tout un art. Et nous étonner non-stop.
Par Marie Plantin
Conférence de choses
Du 21 novembre au 31 décembre 2017
Au Théâtre du Rond-Point
2 Bis Avenue Franklin Roosevelt
75008 Paris
Du 20 au 24 juin 2018
Au Nouveau Théâtre de Montreuil