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Amour, mort, rêve et folie au dernier étage de la Cité Internationale

La metteur en scène Jessica Dalle adapte deux pièces de l’auteur polonais Witkiewicz, homme tourmenté s’il en est, en un spectacle incandescent qui touche à la mort, à l’amour, au rêve, à la folie. Et déploie sa beauté crépusculaire avec goût.
C’est dans la Resserre, la petite salle tout en haut du Théâtre de la Cité Internationale que se joue ce "Walpurg-Tragédie" de la jeune metteur en scène Jessica Dalle qui distille avec grâce et intelligence son univers onirique et ténébreux en un geste artistique encore frais certes mais assurément prometteur.

Sur le plateau, plusieurs espaces cohabitent, sans frontières apparentes, en une scénographie tout à la fois pertinente, symbolique et fantasmatique. Le décor a la beauté de ces tableaux romantiques, bucoliques et morbides à la fois, la vidéo est judicieuse et s’insère joliment dans la profondeur du plateau, soulignée à sa gauche par un rideau de théâtre à l’ancienne, en contre-jour. Ici, point d’illustration facile, de tentation d’explication ou de tentative d’aplanissement de l’œuvre originelle. Le théâtre de Jessica Dalle n’est pas figuratif et ne cherche pas à mâter sa matière. Au contraire, il la laisse vivre, s’ébrouer, échapper à l’entendement pour mieux parler à nos sens, à notre inconscient éventuellement. Il s’empare de son sujet, l’auteur Witkiewicz à peine dissimulé derrière ses œuvres, tant sa personnalité et sa vie tempétueuse y transparaissent, et l’embrase avec foi. En effet, au vu de ce "Walpurg-Tragédie" qu’elle nous offre, Jessica Dalle croit en son art, à sa capacité de transmettre des paroles venues de loin et d’il y a longtemps, de créer du sens ou de le délier, de donner une forme mouvante à la fixité de l’écriture. Inspirée, elle tresse entre elles deux des pièces de l’auteur polonais, "Le Fou et la Nonne" et "La Mère", elle les entrelace, les frictionne, s’approprie le verbe de cet écrivain mystérieux, né au tournant du XIXe et du XXe siècle, en plein essor de la psychanalyse - ce qui n’est pas sans lien avec les zones d’ombre de l’âme humaine observées.

La figure centrale de ce spectacle est celle de cet homme, fou ou génie, double de l’auteur, pivot qui articule entre elles les deux pièces. Il est l’homme camisolé qui retrouve le goût du sentiment amoureux au contact de la nonne envoyée pour le veiller, il est le fils de cette mère d’outre-tombe et pourtant bien vivante, haute en couleur même, qui sort de terre comme de son tombeau. Les personnages de ce spectacle sont des rescapés, de l’amour, de la mort, de la folie. Comme en une dernière valse, ils viennent sur ce plateau témoigner de leur tumulte intérieur, de la grandeur de leur chaos et de la puissance de leurs rêves. Jean-Baptiste Tur, Edith Proust et Bernadette Le Saché leur prêtent leur corps, leur fougue et leurs extases, ils se font les passeurs de leur désenchantement et de leur émerveillement toujours renouvelé. Chacun à leur manière, ils sont les interprètes parfaits de ce spectacle que l’on sent encore jeune mais véritablement nourri, et sur la bonne voie de son épanouissement et de sa pleine puissance. 

Par Marie Plantin

Walpurg-tragédie
Du 3 au 13 décembre 2016
Au Théâtre de la Cité Internationale
17 Boulevard Jourdan
75014 Paris
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